L’histoire d’une vocation d’exception
La Journée mondiale des infirmières et infirmiers, c’était le 12 mai. Elle est fêtée depuis 2010 seulement, au jour anniversaire de la naissance d’une britannique étonnante née en Toscane : Florence Nightingale (1820-1910).
À 25 ans, Florence Nightingale est témoin de la mort d’un malade en raison de l’incompétence d’une soignante. Elle annonce à ses parents sa décision de se consacrer au métier d’infirmière. À cette époque, dans la bonne société, les malades sont soignés chez eux ; les hôpitaux sont pour les pauvres. D’une famille aristocratique, les parents refusent.
Mais l’appel intérieur persiste, et après de nombreuses péripéties, il se concrétise lors de la guerre meurtrière de Crimée, commencée en 1853. Florence Nightingale devient pionnière des soins infirmiers modernes et de l’utilisation des statistiques. Elle démontre que la mortalité est due à la médiocrité de l’alimentation et des réserves, ainsi qu’au surmenage des soldats. L’hiver 1854-1855, 4077 soldats meurent, dix fois plus de maladies infectieuses (typhus, typhoïde, choléra…) que de leurs blessures au combat.
Bien que mieux connue pour ses contributions à la médecine et aux mathématiques, Florence Nightingale est également un personnage important du féminisme anglais et de l’abolition de la prostitution.
Ma présence à la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité au sein du Conseil économique social et environnemental (CESE) m’a rendu plus sensible à cette femme extraordinaire, dont l’histoire met en lumière ce magnifique métier d’infirmier(e).
17 millions d’infirmières dans le monde : c’est 34 millions de mains qui font merveille !
En France, Métropole et Outre-mer, 638 248 infirmières et infirmiers sont diplômés d’Etat, dont 87 % de femmes. 20 000 sortent chaque année des écoles après 3 ans d’études. Je n’oublie pas leurs collègues masculins qui, bien que moins nombreux, sont, comme elles, merveilleux au service des souffrants.
Jamais de chômage dans ce métier tant les besoins sont immenses partout dans le monde ! De la néonatalogie au grand âge, en passant par la chirurgie ou la psychiatrie, leurs mains font merveille dans tous les services de médecine. Une carrière insuffisamment valorisée alors qu’elle est si nécessaire à la société.
Les malades vous comprennent et vous aiment
Ce sont d’abord les ordres religieux qui ont organisé la profession à partir du XIIe siècle, selon des critères en lien avec la charité et l’amour de Dieu : le soin est alors bénévole et n’a qu’une valeur culturelle. Celle qui le pratique est prise en charge par la structure religieuse, telle les religieuses des Hôtel-Dieu.
La laïcisation commence en 1878, les religieuses n’occupant généralement plus que les postes d’encadrement. Elles s’occuperont ensuite de l’accompagnement des patients en fin de vie, apaisant, soulageant avec une grande délicatesse, toujours au service des plus démunis face à la vie comme j’ai pu le vérifier moi-même dans les années 1970-1990.
C’est en 1902 qu’un décret oblige les préfets à créer des écoles d’infirmières. Il préconise de recruter des personnes issues des classes populaires, alors que Florence Nightingale souhaitait que la profession ait le même niveau d’études que les médecins. Elle n’avait pas tout à fait tort tant le métier est devenu proche des techniques médicales les plus sophistiquées.
C’est bien ce qui se passe dans les services spécialisés, les urgences, les soins de surveillance continue ou les soins intensifs. Évidemment, les responsabilités et les prescriptions incombent aux médecins, mais les infirmières et infirmiers de plus en plus nombreux, vite chevronné(e)s car constamment présents auprès de leurs patients, deviennent très vite indispensables. Ils/Elles scrutent la moindre anomalie et savent donner l’alerte au signe le plus discret, sécurisant l’équipe médicale.
Où sont les meilleures infirmières d’Europe ?
Je veux rendre un hommage appuyé tout particulièrement à celles et ceux que j’appelais pour les faire rougir « les meilleures infirmières d’Europe », au risque de vexer les autres. Les sondages les plus récents affirment que 91 % de nos compatriotes ont une excellente image de votre profession.
J’ai longtemps cherché à comprendre pourquoi les infirmières du Languedoc-Roussillon avaient des qualités humaines tout à fait particulières. Leurs compétences évidemment, comme partout, sont au service des malades, mais elles ont un plus difficile à déceler.
J’ai pu le vérifier à la fois dans mes visites approfondies d’autres structures hospitalières publiques ou privées, en France bien sûr mais aussi dans de nombreux centres européens et outre-Atlantique. De même, quand certains personnels soignants venant de Paris ou du nord de la France, de Toulouse, de Chartres ou de Bordeaux… ont intégré nos équipes méditerranéennes, ils s’adaptent rapidement.
Ces moments où les larmes arrivent
L’histoire de notre Ecole de Médecine de Montpellier, la plus ancienne d’Europe, bien avant Paris, et toutes nos qualités géographiques, nous ont imprégnés au fil des siècles d’un humanisme particulier. Il touche, pénètre jusqu’à l’ADN des esprits et des gestes la grande famille des soignants : des chirurgiens et médecins les plus spécialisés à tous ceux qui travaillent dans les hôpitaux et cliniques, jusqu’aux postes les plus humbles, pour délivrer les meilleurs soins. Car lorsqu’on a pour mission de soigner, panser, guérir, accompagner parfois vers la fin de vie, rien ne peut être laissé au hasard.
Tous les soignants sont au service des souffrants. Notre « produit fini » n’est ni un boulon, ni une automobile ; c’est un être humain, une sœur, un frère en humanité. Et même si les heures se comptent, de nombreux soignants sont débordés – avec la monumentale erreur des 35 heures qui a été à l’origine de bien des « burn-out » – ; si les équipes se succèdent jour et nuit, dimanches et jours de fête, c’est toujours avec le souci d’agir pour le bien de ceux qui souffrent.
Dans les services de cancérologie, les peurs, les silences, les attentes inquiètes, les larmes sont palpables. Tout le personnel reste très attentif à ces misères, n’hésitant pas avec délicatesse à les soulager au mieux. Ainsi, les liens qui se créent entre les soignants et les familles sont en général étroits. Même si les regards portés par le personnel soignant peuvent être différents, ils sont complémentaires et nous, médecins, en tenons le plus grand compte.
Infirmières, infirmiers, Hippocrate reste votre Maître, pas seulement celui des médecins ! Observer, écouter, comparer, lui a permis d’affirmer avec génie 500 ans avant notre ère « Que ton aliment soit ta médecine », grand principe de la prévention qui s’affirme scientifiquement juste aujourd’hui, avec le concept de la nutrition méditerranéenne.
Des équipes soignantes soudées au plus près de la souffrance humaine
Ecouter, soigner, panser, être attentif à toutes les plaintes, les comprendre, s’occuper du corps dans sa plus grande intimité. C’est le souffrant qui s’offre dans la confiance au soignant pour les prises de sang, la tension artérielle et la température, les perfusions et injections, les gélules et comprimés à prendre.
Une technicité d’une grande précision où l’on ne peut confondre le potassium avec le sodium…
Sur la table d’opération, le patient est doucement endormi à la fois par les paroles apaisantes, positives, de l’infirmière et de l’anesthésiste. Les bras trop souvent en croix, les produits de la perfusion piquent légèrement le bras du patient entouré de tout le personnel.
On positionne son corps endormi avec délicatesse, il est badigeonné selon les instructions du chirurgien, puis couvert de champs opératoires stériles selon un rituel scientifiquement établi.
Tous les gestes sont calculés. Les instruments un à un sortent de leurs boîtes stériles et l’infirmièr(e) de bloc opératoire diplômée d’Etat (IBODE) les confie à la main du chirurgien selon sa demande. Les mains se croisent et se comprennent comme dans une symphonie musicale. Le stress ne manque pas en salle d’opération. Parfois, pour les interventions lourdes et longues, jusqu’à 10 personnes sont là chacune et chacun à son rôle. Rien n’est laissé au hasard. Une douce musique classique s’ajoute à l’ambiance d’un silence pesant. Le chirurgien pourra-t-il faire ce qu’il a décidé, enlever le mal et reconstruire au plus près de ce que la nature, elle seule, a fait de mieux ?
Des anecdotes significatives où beaucoup se reconnaîtront
Au retour du bloc opératoire, le chirurgien est heureux d’expliquer, dessin à l’appui, ce qu’il vient de faire et déjà d’en fixer en partie le pronostic. À l’inverse, les visages se creusent quand il explique qu’il n’a rien pu faire car la maladie a pris trop de place. Ces moments de joie et de tristesse sont intégrés mais ne peuvent perturber les gestes techniques ou les relations avec le patient qui ne tarde pas, dès la salle de réveil, à demander comment cela s’est passé.
Je me souviens de cette jeune femme qui pleurait le sang par le rectum, atteinte d’une très sérieuse rectocolite ulcéro-hémorragique, et dont j’avais dû enlever tout le côlon malade. Depuis quelques mois elle avait perdu la vue – ne distinguant que le jour de la nuit –, atteinte de ce qu’on appelle une uvéite bilatérale, inflammation majeure de la chambre moyenne de chacun de ses globes oculaires qui lui donnait les yeux très rouges.
Je demandai aux infirmières de la salle de réveil de me prévenir dès qu’elle serait bien éveillée après l’opération, en mettant le quotidien du jour à côté d’elle. L’infirmière me répondit qu’elle était « mal voyante ». Je persistai dans ma demande. Au réveil, la patiente lisait parfaitement les petits caractères du journal, ce qui me permit d’expliquer à l’équipe les relations étroites, dans cette maladie auto-immune qu’est la RCUH, entre le tube digestif et ses répercussions – non évidentes – sur la vision.
Souvent, il est aussi nécessaire, pour les décisions difficiles, de réunir l’équipe afin de prendre conseil. Que dire au patient ? Quelle vérité ? Évidemment, les divergences sont fréquentes selon les ressentis de chacun.
Il y a deux chiens énormes dans sa chambre !
Remonte en ma mémoire cette étonnante patiente, grande amie de Brigitte Bardot, que m’avait adressé mon ami Léon Schwarzenberg. Elle n’acceptait de se faire opérer que si, dans sa chambre, ses deux gros chiens pouvaient la veiller après l’opération. D’un commun accord avec l’équipe, j’acceptai un grand poster de ses deux amis dans sa chambre, ce qui fut fait dans la bonne humeur.
Plus dure fut cette altercation entre deux infirmières, l’une jeune mais ancienne dans le service, l’autre nettement plus âgée, intérimaire, qui me refusa une prescription visant à la sédation profonde d’un patient fort douloureux arrivé en fin de vie. Je compris d’emblée le conflit qui touchait à l’éthique et à la conscience. Je demandai à voir à part la plus jeune, excellente infirmière, ancienne du service, qui s’était moquée de sa collègue en des termes excessifs. « Mademoiselle Z. lui dis-je, je vous sais honnête et compétente. Franchement, si vous étiez arrivée le jour même dans le service, auriez-vous obéi à ma prescription aussi facilement qu’aujourd’hui ? » Avec grande honnêteté, les yeux dans les yeux, elle me répondit « Non ».
Je décidai alors de préparer moi-même la perfusion et de la poser. Dans le cas de ce patient, nous n’avions aucun traitement pour le soulager de ses épouvantables douleurs. Il fallait l’endormir avec la quasi-certitude qu’il ne se réveillerait pas. Sa famille était d’accord, le rabbin qu’il avait souhaité que je rencontre était également d’accord. Devant son épouse, je prévins le patient avec douceur de la nécessité de dormir, dormir afin de calmer ses plus fortes douleurs… sans la certitude qu’il se réveillerait. Il l’accepta avec dignité.
Ainsi, en prenant moi-même la responsabilité de préparer la perfusion et de la poser, je pus soulager les infirmières de leurs doutes et cas de conscience.
Soulager mais pas tuer !
La clause de conscience est indispensable, tant pour les médecins que pour les infirmiers et infirmières
Nous touchons là à ce que je demande avec insistance, de même que de nombreux collègues : la clause de conscience pour le personnel soignant qui n’accepte pas de recourir à la sédation profonde sans raisons médicales précises… Si nous sommes convaincus de la nécessité de calmer un patient qui souffre – et nous le faisons – au risque qu’il ne se réveille pas, nous ne pouvons accéder à la demande d’un patient ou d’une famille qui souhaite, alors que le malade n’est pas dans une situation extrême, le suicide assisté.
Ce suicide n’est autre qu’une forme d’euthanasie, camouflée aujourd’hui par les bien-portants qui utilisent des sondages orientés. Alors on nous parle de sédation profonde pour ne pas dire que l’on tue.
Nous sommes faits pour soulager, pas pour tuer. Encore moins arrêter la vie face à l’état de conscience minimale, grande fragilitéd’un patient comme Vincent Lambert [1] dont la France entière se préoccupe, attendant des 17 juges de la Cour européenne la décision de donner la mort ou de la refuser. Quelles compétences les juges ont-ils dans notre pays qui a aboli définitivement la peine de mort ? Faut-il considérer boire et manger, bref se nourrir, comme un traitement ? Affamer un patient jusqu’à le faire mourir deviendrait un arrêt thérapeutique, une « euthanasie par omission » pour éviter l’euthanasie active ce qui revient au même.
C’est donc un appel à tous les soignants que je lance pour l’objection de conscience.
J’ai personnellement signé l’appel lancé par mon collègue le Pr Olivier Jonquet, spécialiste de Réanimation médicale qui préside la commission médicale d’établissement (CME) du CHU de Montpellier. Je vous exhorte à faire de même, vous toutes et tous qui exercez votre métier dans les centres de soins, quels qu’ils soient, en Métropole et Outre-mer. Vous lirez l’argumentaire très clair sur le site soulagermaispastuer.org |
L’infirmière en sait plus que l’interne
Que d’heures passées à faire les pansements difficiles, ceux qui exigent des soins plusieurs fois par jour, les irrigations, les cicatrisations ralenties par la radiothérapie ou des chimiothérapies répétées. Que d’attentions portées, d’échanges intimes avec le patient confiant qui se laisse faire et se confie au-delà de ses plaies douloureuses.
Les visites nocturnes ne sont pas pour batifoler, comme un certain directeur incompétent car bien loin des malades me le reprochait à Paris, alors qu’il est important de donner et répéter les instructions pour la surveillance de nuit des patients opérés longuement, de ce fait d’autant plus fragiles.
Le suivi infirmier est d’une extrême importance et le chirurgien en tient le plus grand compte. La moindre modification thermique, le moindre écoulement, la moindre nouvelle douleur repérée sont signalés car ils peuvent être les premiers signes qu’une grave complication survient. L’infirmière chevronnée en sait plus que l’interne nouveau dans le service. Il doit le savoir, et avoir l’humilité d’écouter ce qui lui est transmis, et plus encore d’en tenir compte.
Les appels de nuit directs vers le chirurgien de garde qui dort avec son portable sous l’oreiller, sans passer par l’interne, peuvent être nécessaires. Celui-ci ne tarde pas à prendre la décision qui peut sauver la vie même in extremis.
Votre métier, chères infirmières et chers infirmiers, en plus d’être une vocation au service de l’humain, est devenu d’une grande technicité. Celle-ci exige des formations fréquentes pour s’adapter aux progrès techniques incessants. J’admire vos capacités d’adaptation.
Des roses pour nos infirmières
Que de signes de reconnaissance reçus des patients à la sortie, et même aux anniversaires des opérations lourdes.
J’ai le souvenir merveilleux de ce patient opéré d’une lésion fort grave, grand horticulteur dans son pays, qui nous inondait de roses chaque début d’année… Toute l’équipe de soins était très touchée, rentrait chez elle les bras chargés de roses. Ces gestes de reconnaissance durèrent les années de vie que nous avons pu donner à ce délicieux patient.
Je suis heureux par cette lettre de contribuer à faire mieux connaître et apprécier ce grand métier, ces personnes dévouées, hyper-compétentes, qui connaissent les ressorts de l’humain pour les aider à revivre [2]. Comme le dit mon ami Guy Corneau, « La maladie nous demande un effort amoureux ». C’est toute l’équipe soignante qui vit et revit en symphonie avec le patient.
N’hésitez pas à faire circuler cette lettre pour que soient mieux compris toutes celles et ceux qui, jour après jour, nuit après nuit, aident à passer ces moments difficiles, jamais souhaités, toujours subis.
MERCI à vous tous dans les hôpitaux, les cliniques, dans les soins à domicile qui œuvrez pour le bien des plus fragiles d’entre nous.
Et n’oubliez pas de lire la demande de clause de conscience soulagermaispastuer.org pour rejoindre le corps de tous ceux qui croient en la vie plus fragilisée que jamais.
Professeur Henri Joyeux
Sources :
[1] Je ne peux que conseiller, pour y voir clair, le livre de la mère de Vincent Lambert « Pour la vie de mon fils » Plon 2015 [2] Revivre !, Guy Corneau, Editions Les liens qui libèrent (Janvier 2011)✉️ La Lettre du Professeur Joyeux est un service d’information santé indépendant, spécialisé dans la prévention des maladies auprès du grand public et des familles. Inscription gratuite : cliquez ici.
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Luc Montagnier a découvert en 1983 le virus du sida (VIH, Virus de l’Immunodéficience Humaine). Il a très vite compris qu’un vaccin contre ce retrovirus à ARN, serait très difficile à mettre au point du fait de ses mutations permanentes. Quarante plus tard le vaccin n’existe toujours pas.