Sommeil
Categories: Lettres, Santé | Published On: 29 avril 2016 |

Une vieille amitié, une volonté de servir toujours présente

J’ai connu le professeur Jean-Bernard Fourtillan peu de temps après ma thèse de doctorat en médecine sur le thème de l’Intestin artificiel en 1972.

Il a immédiatement compris l’importance des mélanges nutritifs apportés par voie veineuse aux patients ne pouvant plus s’alimenter par voie naturelle digestive.

Jeune professeur de Chimie thérapeutique à la Faculté de Médecine et de Pharmacie de Poitiers, il a su convaincre le Ministre maire de Libourne, Robert Boulin, et le directeur du centre hospitalier, de l’intérêt pour les patients de créer la première unité de mélanges nutritifs en Europe. Dans le monde entier, de très nombreux patients ont bénéficié et bénéficient toujours de cette technique.

Nos chemins se recroisent aujourd’hui, pour une découverte beaucoup plus importante, présentée en décembre dernier à l’Académie de pharmacie à Paris.

Comme vous allez le voir dans l’interview ci-dessous, il a réalisé une avancée d’une importance phénoménale pour tous ceux qui souffrent de troubles de sommeil, de dépressions nerveuses, de troubles psychotiques et même d’affections neurodégénératives comme Parkinson et Alzheimer.

 

Pr H. JOYEUX : Jean-Bernard, tu viens d’annoncer, lors d’une conférence à l’Académie Nationale de Pharmacie, une bombe scientifique : une formidable découverte qui concerne le système de régulation de la veille et du sommeil.

Pr J.B. FOURTILLAN : En 1994, il y a 22 ans, j’ai découvert la Valentonine, qui est la véritable hormone du sommeil, et plus généralement l’hormone de la nuit. Elle est sécrétée par la glande pinéale, entre 22 h et 6 h du matin, soit pendant 8 heures, en même temps que deux autres hormones : la mélatonine et le 6-méthoxy-harmatan.

La mélatonine a été découverte par LERNER, en 1958 ; son rôle essentiel est de protéger les neurones de leur destruction progressive par les radicaux libres oxygénés, produits au cours de la respiration aérobique normale, nécessaire à la fabrication d’énergie pour l’organisme.

Le 6-méthoxy-harmatan a été identifié dans la glande pinéale par Mc ISAAC, en 1961 ; il a des propriétés psychostimulantes élevées, comparables à celles du LSD [1]. C’est l’hormone de la veille, et plus généralement l’hormone du jour. Ses propriétés pharmacologiques sont exactement opposées à celles de la Valentonine.

Ces 3 hormones constituent le système Veille-Sommeil qui régule, à partir de 22 h, et pendant 24 heures, les vies psychique et végétative de l’organisme. Cette découverte permet d’expliquer les mécanismes des affections neurologiques, et elle débouche tout naturellement sur leurs traitements.

H.J. – Avant d’entrer dans le détail, merci de nous dire comment tu as été conduit vers cette découverte, il y a déjà 22 ans ? Même si seuls les spécialistes peuvent vraiment comprendre il faut le préciser à nos lecteurs.

J.B. F. – Pour faire cette importante découverte, il fallait :

  • une première étincelle, qui m’a révélé la structure chimique de l’hormone du sommeil, la Valentonine ;
  • et, simultanément, avoir des connaissances dans de nombreux domaines : en chimie et en sciences médicales et pharmaceutiques (physiologie, biochimie, chimie du médicament, pharmacocinétique, bioanalyse, recherche clinique).

Voici comment cette aventure a démarré

Au début des années 90, tout le monde s’intéressait à la mélatonine. On savait que cette hormone était sécrétée par la glande pinéale, une petite glande située dans le cerveau. Mais personne ne savait la doser avec la précision, la sensibilité et la spécificité nécessaires.

Car la glande pinéale sécrète des quantités de mélatonine extrêmement faibles. Du coup, les taux de mélatonine sanguins sont très bas, de l’ordre de quelques picogrammes (1 picogramme = 1 milliardième de mg) ou quelques dizaines de picogrammes par ml de plasma. C’est la raison pour laquelle on ignore encore beaucoup de choses sur cette hormone.

Dans mon laboratoire, nous avons alors développé une méthode de dosage de la mélatonine en utilisant une nouvelle technique [2], que nous avons publiée en 1994. C’est, aujourd’hui encore, la méthode de dosage le plus sensible jamais publiée.

Dans cette méthode de dosage, il faut préalablement transformer la mélatonine, composé non volatil, en un composé que l’on peut porter à l’état gazeux. On la transforme en un dérivé pentafluoro-acyle dont la structure chimique m’intriguait.

Un beau jour du mois d’avril 1994, en réfléchissant au mécanisme de cette réaction, j’ai compris, en quelques secondes, comment se formait la véritable hormone du sommeil : par une nouvelle acétylation enzymatique de la mélatonine, sous l’action de l’enzyme sérotonine N-acétyltransférase qui permet, dans un premier temps, de transformer la sérotonine en mélatonine.

Cette identification de la Valentonine était la clé de la découverte du système Veille-Sommeil.

H.J. – Il y a donc 3 hormones clés, qui fonctionnent ensemble ?

J.B. F. – Les 3 hormones sécrétées simultanément, entre 22h et 6h du matin, par la glande pinéale sont, rappelons-le :

– la mélatonine, l’hormone neuro-protectrice (elle ”nettoie” en quelque sorte les neurones très stimulés dans la journée) ;

– le 6-méthoxy-harmalan, l’hormone de la veille. C’est le véritable agent des psychoses. On pensait, à tort, jusqu’à cette découverte, qu’un excès de dopamine (un neurotransmetteur) était responsable des psychoses. L’hypothèse dopaminergique, certes décriée, mais toujours d’actualité, doit être abandonnée.

– et la Valentonine, la véritable hormone du sommeil.

C’est un peu complexe mais biochimiquement voilà une merveille de notre nature.

On peut parler de cascade biochimique car les biosynthèses des 3 hormones à partir de la sérotonine s’effectuent en trois étapes d’acétylation enzymatique, avec formations successives de la mélatonine, du 6-méthoxy-harmatan et de la Valentonine. Cette sécrétion dure 8 heures, entre 22h et 6h du matin.

H.J. – Donc la Mélatonine n’est pas l’hormone du sommeil, mais l’hormone qui protège les neurones pendant que nous dormons.

J.B. F. – La mélatonine n’est pas l’hormone du sommeil. Au cours de nos études de somnographie, chez le chien, la mélatonine n’est pas différente des placebos. Elle n’a pas d’activité hypnotique.

La mélatonine est le réducteur des radicaux libres le plus puissant que l’on connaisse dans les milieux biologiques. Elle a donc un effet antioxydant sur nos cellules nerveuses, elle les protège. Nous avons prouvé cette action, in vivo, par la mise en évidence, en spectrométrie de masse, de fortes concentrations, de 2-oxomélatonine dans le cerveau.

En piégeant, de la sorte, les radicaux libres, destructeurs des neurones, la mélatonine protège les neurones et prévient leur dégénérescence.

La mélatonine est donc l’hormone neuro-protectrice.

H.J. – Formidable découverte ! À quelle heure faut-il la prendre ?

J.B. F. – Comme la Valentonine, elle n’est présente dans l’organisme que pendant la période de sécrétion pinéale, c’est à dire entre 22h et 6h du matin.

Celle ou celui qui a des troubles du sommeil devra la prendre le soir au coucher, à une dose suffisante, qui lui permet d’éliminer les radicaux libres oxygénés pendant le repos nocturne. Je conseille une dose orale de 3 mg, le soir au coucher. Elle constitue un traitement hormonal substitutif chez les personnes qui ont un hypofonctionnement de la glande pinéale et donc des troubles du sommeil.

H.J. – La deuxième hormone a un nom compliqué. À quoi sert-elle ?

J.B. F. – Le 6-méthoxy-harmatan est l’hormone du jour. Il a des propriétés pharmacologiques exactement opposées à celles de la Valentonine. Ainsi il augmente la vigilance et maintien la veille, il augmente aussi la pression artérielle et la fréquence des battements du coeur à partir du réveil, et il provoque une contraction musculaire.

H.J. – Et d’où proviennent ces noms :

– Harmalan (harmala alkaloid ?) ;

– et celle que tu as découverte : la Valentonine ?

J.B. F. – Le nom d’Harmalan vient des alcaloïdes de l’Harmala, tels que l’Harmaline et l’Harmine qui ont une structure chimique tricyclique, qui est celle de la bêta-carboline. Ce sont des drogues psychostimulantes, hallucinogènes.

Le 6-méthoxy-harmatan est un isomère de position de l’harmaline.

En ce qui concerne l’hormone du sommeil, je lui ai donné le nom de Valentonine, car je l’ai découverte en 1994, année de naissance de ma petite fille Valentine.

H.J. – Comme quoi notre vie professionnelle ne peut être dissociée de notre vie familiale ! Peut-on doser la Mélatonine dans le sang pour savoir qui en a besoin ?

J.B. F. – Dans la glande pinéale, entre 22h et 6h du matin, la biosynthèse des trois hormones s’effectue, à partir de la sérotonine – un important neurotransmetteur que l’on trouve aussi dans le chocolat de qualité telle omégachoco – avec formations successives de la mélatonine, du 6-méthoxy-harmatan puis de la Valentonine.

Pour déterminer l’importance de la sécrétion de la mélatonine, et donc des 2 autres hormones dont elle est le marqueuse princeps, il faut mesurer sa concentration plasmatique à partir de 1 h du matin. Le résultat de ce dosage nous renseignera sur l’état du système Veille-Sommeil, c’est-à-dire sur la fonction endocrine de la glande pinéale.

H.J. – Le tryptophane est un acide aminé d’une extrême importance, il est plus qu’essentiel !

Sans lui, pas de sérotonine, ni la cascade biochimique qui suit ?

J.B. F. – Le tryptophane est un acide aminé essentiel. Il est le précurseur de la sérotonine et donc des 3 hormones qui suivent du système Veille-Sommeil produite dans la glande pinéale.

H.J. – Et la dopamine, dans ce vaste système hormonal des neurotransmetteurs, où se situe-t-elle ?

J.B. F. – La dopamine est le neurotransmetteur des neurones dopaminergiques, impliqués dans la contraction musculaire. La Valentonine est un activateur, c’est-à-dire un agoniste, des neurones dopaminergiques ; elle provoque un relâchement musculaire. C’est une action antiparkinsonienne. Une faible sécrétion de Valentonine est à l’origine de la maladie de Parkinson.

À l’inverse, le 6-méthoxy-harmatan est un antagoniste des récepteurs dopaminergiques. Il provoque une contraction musculaire.

Enfin cette découverte démontre que la dopamine n’est pas l’agent des psychoses ; elle n’intervient probablement pas dans la cognition. Elle n’est pas non plus, comme le pensent de nombreux chercheurs, la chef d’orchestre des neurotransmetteurs, rôle qui semble plutôt dévolu à la sérotonine.

H.J. – La tranche horaire 22h-6h et sa cascade biochimique sont-elles la clé de la compréhension et des traitements préventifs et curatifs de nombreuses maladies neurologiques ?

J.B. F. – Des dysfonctionnements de la fonction endocrine de la glande pinéale sont responsables de nombreuses affections neurologiques .

Une sécrétion insuffisante des trois hormones est responsable :

– des troubles du sommeil ;

– des dépressions nerveuses ;

– des affections neurodégénératives des types Parkinson et Alzheimer, dans lesquelles les sécrétions pinéales sont très réduites, voire effondrées ;

– et, probablement, d’autres maladies neurologiques.

Une sécrétion excessive des trois hormones est responsable des troubles psychotiques de tous ordres.

Les traitements de ces affections neurologiques sont des traitements substitutifs par les trois hormones pinéales endogènes :

Le traitement des affections dues à une sécrétion insuffisante des trois hormones pinéales nécessite des administrations simultanées :

– de mélatonine, par voie orale, le soir au coucher ;

– et d’un patch transdermique, à 2 réservoirs, contenant la Valentonine et le 6-méthoxy-harmatan, appliqué au coucher et enlevé le matin au réveil.

Le traitement des troubles psychotiques, dus à une production excessive des trois hormones pinéales, consistera à administrer un patch transdermique à 1 réservoir, contenant la Valentonine. Ce patch sera appliqué le matin au réveil et enlevé en cours de journée avant 22h.

Pour la Valentonine et le 6-méthoxy-harmatan, l’état actuel de nos connaissances pharmacologiques de ces 2 hormones endogènes est suffisant pour permettre de mettre rapidement ces nouveaux traitements à la disposition des patients. En effet, elles seront administrées, par voie transdermique par patch, en traitement hormonal substitutif, à de très faibles doses, correspondant aux sécrétions physiologiques de la glande pinéale.

Nous avons l’intention de demander une Autorisation Temporaire d’Utilisation (A.T.U.) qui nous permettra de traiter rapidement les patients, dès que nous aurons trouvé un Laboratoire Pharmaceutique partenaire. Cela pourrait avoir lieu fin 2016 ou début 2017.

H.J. – Beaucoup de médicaments de psychiatres vont tomber à l’eau, d’autant plus que vous expliquez les effets délétères du vaste groupe des benzodiazépines ?

J.B. F. – La découverte du système Veille-Sommeil nous a permis d’expliquer les modes d’action des psychotropes utilisés dans le traitement des maladies neurologiques.

En ce qui concerne les Benzodiazépines et médicaments apparentés, tels que le Zolpidem (Stilnox®) ou la Zopiclone (Imovane®), cette découverte permet d’expliquer leurs effets indésirables paradoxaux. La présence dans ces molécules du squelette pharmacophore de l’hormone de la veille, qui augmente la vigilance, explique pourquoi les deux principaux effets indésirables de ces médicaments prescrits comme hypnotiques et anxiolytiques sont : insomnie importante et anxiété importante. Ce qui est un comble pour des somnifères et des tranquillisants.

H.J. – De nombreuses personnes auront besoin d’être traitées, mais de quelle façon : en comprimés, en patch, en injection ?

J.B. F. – Le mode et la voie d’administration du 6-méthoxy-harmatan et de la Valentonine doivent permettre de reproduire les cinétiques de leurs libérations dans la circulation sanguine par la glande pinéale, entre 22 h et 6 h du matin. Ce qui n’est pas possible par voie orale. En pratique l’administration par voie transdermique, donc par patch collé sur la peau est la meilleure.

H.J. – Au fond cela correspond à un traitement hormonal substitutif des hormones de la veille et du sommeil.

J.B. F. – Exactement

H.J. – Penses-tu que nos infirmières qui travaillent la nuit inversent leurs sécrétions hormonales ?

J.B. F. – Non !

Chez ces infirmières, le noyau suprachiasmatique, leur horloge biologique qui va adapter leur mode de vie au rythme veille-sommeil, va décaler la sécrétion pinéale des trois hormones en la déclenchant à l’heure où elles se couchent.

Un très grand merci, très cher ami, de me permettre d’informer en priorité près des 600 000 personnes qui reçoivent ma lettre hebdomadaire et qui auront à cœur de la diffuser autour d’eux. Cette découverte va faire couler beaucoup d’encre, celle des scientifiques dont certains sont ébahis et admiratifs, d’autres plus circonspects. Tu sauras les convaincre avec les arguments scientifiques à l’origine de cette découverte.

Et vous, mes chers lecteurs, sachez que dès le jeudi 28 avril, vous pourrez visiter le site www.fonds-soeur-josefa.org.

Il s’agit du Fonds de dotation « Soeur Josefa Menéndez », présidé par le professeur Jean Bernard Fourtillan. Les sommes récoltées par ce Fonds serviront à l’amélioration et au développement des affections neurologiques, ainsi qu’à d’autres applications thérapeutiques de cette découverte, possiblement en cancérologie. C’est pourquoi j’en ai accepté la vice-présidence bénévolement.

Bien à vous,

Professeur Henri Joyeux

 

Sources :

[1] Pour les spécialistes, le diéthylamide de l’acide lysergique – de l’allemand ”Lysergsäurediethylamid” – est un psychotrope hallucinogène

[2] Dans mon laboratoire privé du centre de recherche biomédicale CEMAF nous étions spécialisés dans les techniques de couplage de la chromatographie gazeuse avec la spectrométrie de masse.

 


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